Entretien avec Hoshi Norio
Kendo Kyoshi 7e Dan - Police de Tokyo
ed: Cet article a été publié pour la première fois en 2012 sur l'ancien blog de Seido.
Proche du fondateur de SeidoShop, Norio Hoshi travaille avec nous en tant que conseiller et teste et contrôle les équipements. Depuis deux ans, les occasions de réaliser cette interview ont été nombreuses, mais ce n'est que récemment, en étudiant sous son autorité que j'ai compris quel homme il était, et c'est cela qui me pousse aujourd'hui à vous le présenter.
Hoshi Norio fait partie de ces Budoka dont on n'entend jamais parler en dehors du Japon. Discret, simple, travailleur, peu ouvert sur l'étranger, c'est un Kendoka et un policier hors norme. Il commence le Kendo à l'âge de 10 ans, au collège, dans un club de province, avec pour objectif de devenir enseignant professionnel.
Ses rencontres successives avec des enseignants plus ou moins connus vont transformer peu à peu sa vision "sportive" du kendo, pour la redéfinir en une connaissance approfondie de l'esprit du Budo. Il découvrira que ce qu'il souhaite avant tout, c'est être au service des autres. Pour cela, il s'inscrira à l'école de police et commencera sa carrière comme simple agent, mais sa ténacité, son énergie et son esprit de Budoka le pousseront à toujours aller plus loin. Tout en pratiquant chaque jour avec acharnement, il suivra des cours du soir à l'école de police, jusqu'à devenir commissaire divisionnaire, le plus haut rang qu'il est possible d'atteindre sans avoir fait d'études de droit.
Ce qui rend cet homme exceptionnel, ce n'est pas seulement son parcours professionnel, mais également son parcours de Budoka. Comme de nombreux policiers, il est également pratiquant de Taihojutsu (8e dan), l'art de défense (techniques d'arrestation) de la police et des forces militaires japonaises, ainsi que de Iaïdo dont il est 3e dan. Sa vision du Budo, et plus particulièrement du Kendo est des plus simple : le kendo se vit dans le dojo, comme au quotidien, dans la sueur de la pratique.
Bien qu'il possède le titre de Kyoshi, il n'est pas un "enseignant" comme on peut l'imaginer en Europe. Il ne développe aucune théorie, il ne corrige pas par les mots mais par le corps. Ainsi, il fut le compétiteur japonais le plus agé à avoir participé au tournoi de la police de Tokyo. Son dernier combat se termine en 2010, à 59 ans, à égalité avec son partenaire (hikiwake).
Seido : Bonjour Sensei, merci pour cet entretien. Tout d'abord, racontez nous quand et comment vous avez commencé le Kendo ?
Norio Hoshi : Non non, merci à vous ! Je crois que c'est la première fois qu'on m'interview à propos de mon Kendo.
Aujourd'hui, on dirait que j'ai commencé tôt, à l'âge de 10 ans, au collège. En réalité, à l'époque, ce n'était pas si précoce que cela. Il y avait un club de Kendo dans mon collège de campagne, l’ambiance était bonne, et j'avais besoin de faire sortir mon énergie, et puis mon frère pratiquait déjà alors je me suis inscrit.Seido : Des débuts très classiques en somme. Quand avez vous compris que le Kendo était plus qu'un simple exutoire ? Comment s'est opérée la transformation ?
Norio Hoshi : Quelques années plus tard, au lycée. Mon professeur était quelqu'un d'assez particulier, il avait une aura particulière, pendant les cours mais aussi en dehors. Son Kendo n'était pas simplement une question de technique, de combat, il était clair, précis, et emprunt de reigi (étiquette). Mais son reigi n'était pas une simple application du manuel du Kendoka, il avait un sens dans le dojo comme en dehors. J'ai alors compris que le Budo, c'était une façon de vivre, l'honnêteté, la gentillesse, mais également la vigilance et l'intransigeance. En quelques mois, je me suis transformé, et j'ai arrêté de faire des bêtises, j'ai commencé à respecter les choses, les plantes, les animaux, les gens, et ma vision de la vie à changée. C'est à ce moment là que j'ai décidé de devenir policier. Je voulais que tout le monde comprenne ce que j'avais compris, et je pensais (avec un peu d'idéalisme) que la profession de policier était la meilleure façon de partager ces choses.Seido : J'ai entendu plusieurs fois cette histoire comme quoi, lorsque vous avez été muté sur Tokyo, vous n'êtes arrivé qu'avec votre shinaï et votre bogu comme bagage. Histoire vraie ?
Norio Hoshi : Oui, histoire vraie ! Je n'avais pas beaucoup d'argent, et pas grand chose d'autre en tête que le Kendo. J'ai pris la seule chose qui me tenait à coeur, mon équipement, et je me suis dirigé directement au commissariat où j'étais affecté. En me voyant arriver le bogu à la main, mon supérieur m'a envoyé directement dans le dojo (ndlr : tous les commissariat japonais disposent d'un dojo) pour m’entraîner, ou plutôt pour me tester ! Je pense que ça c'est bien passé car il m' a ensuite beaucoup aidé à m'installer à Tokyo.Seido : Pourquoi avoir, avec autant d'acharnement, voulu atteindre le grade le plus élevé possible, à la fois en Kendo et au sein de la police ?
Norio Hoshi : Le grade n'est qu'une conséquence ! Dans le Kendo, j'ai pratiqué de tout mon coeur, tous les jours, en tant qu'étudiant jusqu'au 3e dan, puis en tant que professeur dans les différents commissariats où j'ai travaillé (ndlr : au japon, un commissaire change d'affectation tous les deux ans environ). Comme j'entrainais les équipes de Kendo de la police, et que je tenais absolument à les accompagner jusqu'au bout, j'ai participé à énormément de compétition, près d'une centaine au total. Comme j'étais assez bon, je suis rapidement monté en grade. Et comme je sentais que la compétition prenait le dessus, j'ai également commencé à pratiquer le Iaïdo, pour recentrer mon esprit. (ndlr : Hoshi-Sensei ne l'a pas explicitement dit, mais j'ai pu consulter ses relevés de compétition : 89% de victoires, 5% de matchs nuls, 6% de défaites, répartis sur presque 40 ans de carrière. L'un des meilleurs score jamais réalisé dans la police de Tokyo).Seido : Je connais vos résultats, c'est impressionnant. Et pour ce qui est de votre grade dans la police alors ?
Norio Hoshi : Là, c'est un peu plus complexe. D'une part, mes résultats en tant que Kendoka m'avaient permis de me faire remarquer de la hiérarchie. D'autre part, je pense que ma vie très droite de Budoka inspirait confiance à mes supérieurs, et peut être qu'au dela des capacités intellectuelles ou de l'expérience, ils voulaient, aux postes à responsabilités, des gens honnêtes, droits, et surtout, de confiance. J'ai réussi tous mes examens, et je faisais souvent parti des premiers de promotion, mais je n'étais pas le meilleur. Au final, petit à petit, j'ai fini par devenir commissaire divisionnaire dans la région du Kanto. La pratique du Kendo et des victoires en compétitions sont des preuves de robustesse et de bonnes capacités physique. Même si la stratégie compte, lorsque l'on est jeune, c'est le corps qui prime. Je pense que j'avais aussi besoin de trouver un équilibre et de me prouver à moi même que mon esprit était aussi vif que mon corps, c'est pour cela que j'ai toujours apprécié mes cours à l'école de police, même passé 30 ans.Seido : Je suppose que vous étiez avec vos subalternes comme avec vos élèves ? Très paternel ?
Norio Hoshi : Je n'aime pas trop le terme, car je ne suis ni leur père, ni même de leur famille. Mais en effet, j'avais l'expérience et je voulais qu'ils en profitent. Cependant, je ne suis pas spécialement doué pour la communication, alors j'ai souvent eu une attitude qui pourrait être qualifiée de paternaliste, sévère, mais bienveillante. Et puis avec le temps, les choses ont changé. Ces dix dernières années, je voyais plus mes collègues comme des amis. Finalement, si il y a un fort écart entre 30 et 40 ans, celui-ci parait moins important entre 40 et 50, ou entre 50 et 60 ans. Je pense avoir été l'un des rares commissaires à organiser des diners à la maison avec la moitié du commissariat ! (rires) Mais qu'est-ce qu'on rigolait !Seido : Vous étiez à la circulation et aux affaires civiles. Finalement, les moeurs ou la crim ne vous intéressaient pas ?
Norio Hoshi : Pour être honnête, je ne sais pas ! Le Japon est un pays relativement calme et sûr. Il y a peu de meurtres, peu de drogues, peu de vols... mais je ne suis pas sûr que j'aurais eu le courage de voir les pires cotés de l'homme au quotidien. Mon travail consistait plus à corriger des incivilités qu'à traiter des hommes fous. Attraper un criminel pour simplement le punir ne me semblait pas être un travail pour moi, alors je suis resté dans un domaine d'application où il y avait un vrai travail de prévention et d'éducation à faire, plutôt qu'un travail de répression.Seido : Revenons un peu aux arts martiaux ! Vous êtes également 8e dan de Taihojutsu, dans quel cadre avez vous étudié ?
Norio Hoshi : C'est un sujet délicat, à plusieurs niveaux. Tout d'abord, je ne suis pas certain de mériter ce 8e dan ! Le Taihojutsu est très lié à la fonction de policier, et les derniers grades m'ont surement été attribués avec gentillesse par rapport à mon grade de policier. Il n'en reste pas moins que la pratique est un passage plus ou moins obligatoire pour les policiers, notamment à mon niveau. En fait, cela fait 10 ans que je n'ai pas pratiqué. (rire).Seido : Alors revenons au Kendo ! Vous étiez, en 2010, le compétiteur le plus agés de la police japonaise c'est exact ? (voir la vidéo ci-dessous).
Norio Hoshi : Oui en effet ! J'ai même eu un diplôme pour ça (rire), même si je n'ai pas gagné un seul shiaï ! (rire) (ndlr : il n'a pas perdu non plus !).Seido : Pourquoi avoir continué la compétition aussi longtemps (59 ans), alors que la plupart des pratiquants en termine la quarantaine passée.
Norio Hoshi : Pour plusieurs raisons. Déjà, on me le demandait ! Et comme j'ai toujours eu de bonnes relations avec mes élèves, je ne pouvais pas leur refuser. D'un point de vue plus personnel, j'ai toujours pensé que le Kendo (Budo) ça se pratiquait jusqu'au bout. Aujourd'hui, à 61 ans, je ne pourrais probablement plus gagner autant de shiaï, et je serais souvent blessé. De toute manière, je suis à la retraite et ne fais plus partie de la police, alors la question ne se pose pas, je ne fais plus de shiaï.Seido : Je vous ai vu enseigner plusieurs fois, vous ne parlez pas beaucoup, vous ne corrigez que très peu, mais vos élèves sont bons. Quelle est votre recette ?
Norio Hoshi : Justement, je n'en ai pas ! Je pratique, de tout mon coeur, avec tous mes élèves, chacun leur tour. C'est à eux de se poser des questions, c'est à eux de voir ce qui va et ce qui ne va pas. Passé le 3e dan, techniquement, tous sont capables de se rendre compte de leurs propres erreurs. Ceux qui ne veulent pas se remettre en question et modifier leur comportement dans la pratique ne seront jamais au top. Si aujourd'hui leur physique, leur timing, leur vue ou je ne sais quoi d'autre leur permet de gagner, ils seront rapidement dépassés par le niveau technique de leurs adversaires.Seido : Et maintenant que vous êtes à la retraite, que comptez vous faire ?
Norio Hoshi : J'ai un second travail, dans l'administration, pas vraiment passionnant d'ailleurs, mais j'ai moins de responsabilités et beaucoup plus de temps. J'enseigne à des enfants, exercice difficile pour moi qui n'ai pas l'habitude de donner des conseils aux plus jeunes. Et puis, je pratique chez vous régulièrement. D'ailleurs, merci de m'offrir un espace pour la pratique, même si le dojo est un peu bas de plafond (rire). (ndlr : Seido dispose d'un petit dojo traditionnel de 12 tatami). Je soupçonne la question de faire référence à l'enseignement en dojo ou sous forme de stages. Mais la réponse est non, j'ai accepté de donner ce stage en France (voir plus bas) car vous me l'avez demandé et que vous m'avez assuré d'une bonne ambiance, mais je ne suis pas doué pour l'enseignement. En revanche, si on me propose de pratiquer simplement, ce sera avec grand plaisir.Seido : Nous pourrions discuter jusqu'au petit matin, mais il faut savoir mettre un terme même au meilleur des moments. Pour terminer, que conseilleriez vous aux Budoka, tout art confondu ? Qu'avez vous compris et que souhaiteriez vous leur dire ?
Norio Hoshi : Hors du dojo, je leur dirais qu'avoir un comportement exemplaire est essentiel pour un Budoka. Gagner un shiaï, gagner un tournois, c'est une satisfaction certes, mais c'est une satisfaction éphémère, qui, qui plus est, peut très bien être apportée par la pratique d'un sport quelconque. Non, être un Budoka, c'est autre chose, c'est tirer de sa pratique les leçons qui nous permettent de vivre mieux, avec soi même et avec les autres.Au dojo, (mais c'est aussi valable dans la vie), je leur dirais tout simplement de ne pas avoir peur. Vaincre sa peur, c'est avoir fait 90% du chemin. Kendo, Aikido, Judo, Karate, tout est dans la tête des pratiquants. C'est avec un esprit juste que la technique peut s'exprimer. Si vous avez peur, d'être touché, de perdre, de décevoir, quelque soit cette peur, elle vous empêchera d'avoir le timing, la distance, et la puissance nécessaire pour effectuer la technique. Oui, c'est ça, le plus grand ennemi du Budoka, c'est la peur !
Seido : Merci Sensei !
Stage à Poitiers le 26 mai 2012 - Kendo & Aikido :
Avec l'assistance de votre serviteur, Norio Hoshi donnera un stage le samedi 26 mai 2012 à Poitiers. Ce stage aura pour objectif de transmettre des éléments universels des Budo en travaillant de manière transversale des techniques de Kendo puis d'Aïkido. La traduction est assurée en français par le staff Seido et ce stage est gratuit.
Cet article est issu d'un entretien principal accompagné de plusieurs discussions dans le dojo, les armes à la main. La totalité des propos ne sont pas retranscrits à partir d'enregistrements, cependant l'article a été relu et approuvé par Sensei Hoshi.
La reproduction de tout ou partie de cet article (à l'exception de l'affiche du stage) est formellement interdite sans autorisation écrite express de SeidoShop ou de Norio Hoshi.
1 commentaire - Entretien avec Hoshi Norio
Thank you for that article and perspective. Very honest man about his motivations in police work. I do believe that budo helps in dealing with the felons and “crazy guys,” too, even in US society, which is far more dangerous and where things are much more precarious now. Would that every precinct here had a dojo!