Une interview avec Maître Matsuzaki - Artisan de Bokken

Une interview avec l’artisan de Bokken Matsuzaki Yoshiaki

Le savoir faire japonais d’une petite entreprise familiale.

Août 2017, profitant des calmes mois d'été, nous voyageons à travers le Japon à destination de Miyakonojo et la région de Kishima Sankei pour visiter trois des derniers ateliers de fabrication de Bokken. Nous avons réalisé 3 interviews, nous vous présentons ici celle de Maître Matsuzaki Yoshiake (quelques commentaires et informations complémentaires ont été inclus).

Une rencontre fantastique

Note : Cet article a été publié initiallement en Octobre 2017 sur le blog anglais de Seido.

J’ai visité ces artisans pour la première fois en 2010, il y a donc 7 ans. A cette époque, Seido était encore une insignifiante petite compagnie n’ayant pas besoin de travailler avec tous les artisans en simultané. C’était une simple visite durant laquelle les artisans ont eu la gentillesse de prendre le temps de nous présenter leur travail et nous faire visiter leur atelier.
Depuis ce jour en 2010, j’ai fait de mon mieux pour pouvoir travailler avec chacun d’entre eux, et ce, pour deux raisons. La première est que j’adore le travail du bois. J’étais à deux doigts de prendre la décision de devenir ébéniste à mes 16 ans, et ai toute ma vie gardé cette passion pour le travail du bois. La seconde raison est que je souhaitais travailler avec tous les artisans, apprendre à les connaître et créer un flux de travail, une relation, qu'aucune autre entreprise n'aurait, une connection qui ne se base pas uniquement sur des préoccupations commerciales.

Nous avons commencé à travailler avec Horinouchi en 2010, puis ensuite rapidement avec Nidome. En 2013, nous avons commencé à travailler avec Matsuzaki et finalement avec Aramaki en 2015, faisant de Seido la seule entreprise, au Japon et à l'international, à travailler avec tous les artisans en simultané. J’étais fier de tout cela ! Et j'appréciais travailler avec chacun d’entre eux. Mais j’avais le sentiment de ne pas en avoir fait assez, j’ai donc décidé en 2017 qu’il était nécessaire de mieux les présenter au monde. C’est à ce moment qu’est né notre projet de vidéos, et je suis donc fier de vous présenter ces interviews.
Et pour la suite ? Que ferons nous en 2018/19 ? Et bien, j’ai encore espoir de me salir les mains dans ces ateliers, à travailler avec eux. Je vous ferai savoir quand cela arriva !

Matsuzaki Bokken Workshop

L’atelier de Bokken de Maître Matsuzaki

Matsuzaki Bokuto Seisakujo

Matsuzaki Bokuto Seisakujo (松崎木刀製作所) est le nom de l’atelier. Cela signifie simplement Atelier de Bokken Matsuzaki. Le fondateur, Maître Matsuzaki Yoshinori, a commencé la fabrication de Bokken en 1968, passant de la fabrication d’outils agricoles à la fabrication de Bokken.
Comme son père, le fils du fondateur, Maître Matsuzaki (64 ans), perpétue aujourd’hui encore la tradition.
Matsuzaki Bokuto Seisakujo est une petite entreprise familiale portée par Maître Matsuzaki, sa femme et son fils.
Mais commençons dès à présent l'interview elle même !

Matsuzaki Yoshiaki - 2ème génération d’artisans de Bokken (Partie 1/2)

Q: Pouvez-vous nous parler de la création de l'atelier Matsuzaki ?

La date de création de mon atelier ?
Et bien, la date officielle est autour des années 40 de l'ère Showa.
En l'an 43 (1968) ou 44 (1969) de l’ère Showa, je pense. Je ne me rappelle pas exactement... mais ça doit être aux alentours de l'an 44 (1969). Avant cela, nous fabriquions des outils en bois. Puis, nous avons officiellement changé pour la fabrication de Bokken à partir de l'an 44 de l'ère Showa (1969).
Mon père a continué à fabriquer des Bokken, et j'ai commencé à travailler dans son atelier quand j'avais 18 ans, j'y ai appris le métier. A l'époque, il y avait quatre artisans, cinq en incluant mon père, ainsi que deux ouvriers. Plus quatre-cinq assistants pour le ponçage et le vernissage. Donc quand j'ai fini mes études et commencé à travailler à l'atelier, nous pensions nous stabiliser aux alentours de quatorze ou quinze employés...
A l'époque, tout était entièrement fabriqué à la main. Nous n'avions pas de machines comme celles que nous avons aujourd'hui, et un artisan pouvait fabriquer environ 35 pièces en une journée, seulement rabotées, 40 pièces tout au plus... mais il fallait aussi les poncer et les vernir.
Donc à cette époque, quand nous avons commencé à vendre des Bokken, quelle que soit la quantité que nous fabriquions, cela ne suffisait jamais. Nous avons des clients avec qui nous travaillons depuis environ 50 ans, depuis que mon père a commencé. Il y a deux clients que nous avons depuis 50 ans, et d'autres depuis 30 ans, ou quelque chose comme plus de 20 ans. La raison pour laquelle nous pouvions fabriquer des Bokken sans avoir à nous soucier de quoi que ce soit était parce que nous avions ce genre de relations. Depuis le début de l'atelier, ces clients achetaient presque la totalité de leurs produits chez nous. Donc, comme je vous ai dit précédemment, nous n'avions pas à nous confronter à un prix de vente trop bas. C'est pourquoi nous pouvions le faire et c'est toujours le cas aujourd'hui.

Note :
L’un de ses plus vieux client est le mondialement connu KuSakura, la plus importante et certainement la plus ancienne compagnie d’équipements d’arts martiaux au Japon. Leur catalogue en armes est limité, ils sont à vrai dire spécialisés en Judo et Kendo, cependant la grande majorité de leurs armes proviennent de l’atelier de Maître Matsuzaki.

Q: Dans quel état était l'industrie quand vous avez commencé ?

Aussi loin que je me souvienne il y avait quinze ou seize entreprises je pense. Certains artisans travaillaient seuls. Les artisans qui fabriquaient initialement des outils agricoles changèrent pour fabriquer des Bokken. Donc certains artisans fabriquaient des Bokken en tant que “freelance”.
Dans ces structures, il n'y avait pas de successeurs, l'entreprise disparaissait naturellement quand les gens prenaient leur retraite. Ce n'est peut-être pas la meilleure façon de le dire, mais d'une certaine manière, ils n'avaient pas d'employés et donc l'entreprise coulait. Au final, à cause de l'augmentation des dettes en raison des ventes à bas prix certaines entreprises firent faillite de cette manière.
C’est pourquoi il y a pas mal de cas où les entreprises ne pouvaient plus continuer car il n'y avait pas de successeurs ou car ils furent poussés à la faillite.
Et bien, certains ont disparu pour ces raisons, et maintenant... il ne reste que quatre ateliers. C'est parce que nous avions des successeurs. Comme moi et les enfants d'autres ateliers, on nous a enseigné l'art et nous avons pris le relais. C'est pourquoi aujourd'hui, il ne reste que quatre ateliers. Ceux qui sont restés sont ceux qui avaient des successeurs !

Note :
Cet état de fait semble évident, mais quand vous replacez cela dans la perspective de la globalité de l’interview, avoir ou non des successeurs, en particulier dans le cercle familial, est l’un des plus grand combat des artisans japonais.

Q: D'où vient la forme spécifique de votre Bokken ?

La pointe du Bokken est légèrement plus fine que celle des autres. Les Bokken que nous fabriquons à l'atelier, c'est mon père qui les a fabriqués en premier.
Je ne me rappelle plus de son nom, mais l’un de nos partenaires de longue date était venu pour voir mon père. C'était il y a 50 ans maintenant, il y avait encore possibilité d'améliorer les Bokken à cette époque.
Ces clients qui vendaient des équipements d'arts martiaux, désormais décédés, ont demandé à mon père de fabriquer un Bokken avec une forme spécifique. Ils en ont discuté et c'est ainsi que la forme fut décidée. Mon père a créé ce produit en s'appuyant sur les échanges qu'il avait eu avec ses principaux clients, et cette forme devint populaire dans le milieu et de fait, je (ma génération) ne peut pas se permettre de changer la forme des Bokken brusquement. Mais aussi, j'aime le style des Bokken de mon père. Ce sont les meilleurs pour moi !
C'est pourquoi, encore aujourd'hui, je continue de fabriquer des Bokken avec la forme que mon père a développé, et je dis à mon fils que j'aimerais qu'il continue d'utiliser cette forme.
C'est la spécificité de notre modèle. Au premier regard, vous pourriez ne pas voir de différence, mais nous en tant qu'artisans, nous devinons instantanément qui l'a fabriqué, Maître Horinouchi, Maître Nidome ou Maître Aramaki. On le voit tout de suite.
Mon père disait toujours "N'essaie pas de faire des économies, même si c'est sur la finition, juste parce que tu n'as pas le temps !". Au moins un peu de ponçage et ensuite le vernis, c’est ce que l'on faisait à l'époque. De nos jours, c'est très répandu d'utiliser un spray pour les vernir, mais nous utilisons toujours des chiffons, on les frotte. En fait, le vernissage est réellement très satisfaisant. Utiliser des chiffons peut ne pas sembler très efficace, mais un marchand de meubles nous a dit quand nous étions tous réunis, que la base du revêtement pour le bois est de vernir avec des chiffons.
Nous avons acheté un compresseur, et l'avons essayé. Tout le vernis avait été utilisé en un clin d'œil. On en a jeté la moitié ! Avec des chiffons on en utilise 100%. Il n'y a pas de gâchis. C'est une des bases que j'ai apprises et je pense toujours que c'est la meilleure façon de faire.
Mais je ne juge pas quelle est la meilleure technique. Il y a des bons résultats en utilisant le spray. Mais nous, nous le faisons à notre manière.

Note :
Maître Matsuzaki est le seul à utiliser des chiffons pour vernir ses produits. Parfois, le vernis s’accumule au niveau de la Tsuba (près de la ligne), mais je pense que c'est une meilleure façon de vernir que d'utiliser une machine à pulvériser. Cela donne une touche personnelle que j'aime.

Kissaki spécial Matsuzaki

Le Kissaki (pointe) spécifique de l’Atelier Bokken Matsuzaki

Q: Quelle est votre étape préférée, et la plus difficile ?

La partie la plus difficile ? Il n'y a pas de "difficultés" liées au travail, mais récemment, à cause de mon âge, mes yeux ne sont plus aussi bons que ce qu'ils étaient. Donc quand je regarde un Bokken, mes mains sont nettes, mais la pointe est floue. Même si je porte des lunettes, je ne peux pas voir le produit clairement dans sa totalité. En effet, mes forces physiques diminuent. Comme ma vue par exemple. Ce sont des choses qui arrivent. Je n'arrive plus à faire les mesures des produits sur-mesure aussi facilement qu’avant. Mon fils vérifie les dimensions, l'exécution de l'arête supérieure, du Shinogi, etc.
Récemment, ces tâches manuelles difficiles, ce n'est pas que je ne peux plus les faire, mais par rapport à avant j'ai perdu confiance, petit à petit.
Bien sûr, il y'a les difficultés pour stocker les matériaux, etc. Mais je ne considère pas cela comme des difficultés. C'est plus le "cours des choses", c'est comme ça aujourd'hui. Mais, en vieillissant, petit à petit, je ne peux plus m'occuper des différents produits sur-mesure autant que je le voudrais. Je le ressens. Et c'est devenu gênant, récemment, de faire des produits sur-mesure. Mais en suivant ce raisonnement, je passe naturellement la main à mon fils. C'est le juste cours des choses, n'est-ce pas ? Donc c'est mon fils qui s'en occupe, il peut le faire par lui-même.
Ce que j'aime ? Et bien, ce n'est pas que je n'aime pas travailler bien-sûr, mais j'aime avoir du temps pour moi (rire).
Par contre, tenir simplement un morceau de bois, un matériau brut, que je peux transformer en un produit. Faire un beau produit, meilleur que je n'imaginais, jusqu'à la finition de la couleur du bois : ce sont des moments vraiment plaisants, c'est là que je suis satisfait et heureux. Quand je le regarde après la finition et que je me dis : "Ah, j'ai créé un bel objet".
Selon la qualité du bois, ce bois indéfinissable, selon la façon dont vous le travaillez, le grain devient incroyablement étonnant. Avoir un beau résultat, vous pouvez déjà le deviner, dès que vous voyez le bois. J'aime le bois… Je l'aime vraiment.

Q: Qu'en est-il de la finition, préférez-vous le vernis ou le polissage à l'huile ?

J'utilise de l'huile pour le sunuke et l'ébène. Pour révéler leurs spécificités. Si le sunuke, ou le kokutan n'est pas huilé, il va se fendre et se fissurer. Même si vous conservez le produit fini à l'intérieur, si vous avez du chauffage ou de la climatisation, il va se fissurer. C'est la principale raison pour laquelle ces bois sont huilés. Pour le chêne, on utilise du vernis. Il y'en a juste là, le chêne que j'utilise. On le met dans un four à vapeur et quand le bois commence à gonfler, on enlève l'huile et les impuretés. Mais si on le stoque tel quel, sa couleur et son apparence ne seront pas bonnes.
A l'origine, et même si on l'appelle chêne "rouge", s'il sèche naturellement, il va blanchir ou jaunir. Mais si vous le passez à la vapeur, le huiler et le laissez sécher pendant un an, et si vous le vernissez après ça, il va devenir rouge. C'est pourquoi on le vernis. C'est spécifique à ce genre de bois.
Pour en tirer le meilleur, soit on le vernis, soit on le laisse tel quel. Mais on peut utiliser le bois comme on le désire. Donc, si ça ne concernait que moi, je laisserai le chêne blanc sans vernis, autant que possible.
Mais avec le chêne blanc c'est difficile. Des fois, le bois est vraiment très blanc. Et pendant le séchage, la couleur a l'air presque brûlée car quand l'eau ne s'évapore pas totalement, et qu'il en reste un peu, le bois s'assombrit. Il n'y a juste pas assez de bois de qualité supérieure, totalement blanc. C'est comme ça. Nous devons maintenant utiliser le bois de la meilleure façon possible, en nous creusant la tête.

Note :
Donc le chêne rouge est meilleur vernis, et le chêne blanc non-vernis. Mais seulement quand traité comme Maître Matsuzaki le fait. Cela dépend réellement de l’atelier, de la façon dont il sèche et prépare le bois.
Ce n’est pas notre seul critère, mais cela fait partie de la façon dont nous sélectionnons nos armes chez Seido. Cela est possible uniquement parce que nous travaillons avec les 4 ateliers, et parce que nous savons comment ils fonctionnent et prennent soin du bois.

Red Oak Varnished Matsuzaki Bokken

Chêne rouge vernis de l’Atelier Bokken Matsuzaki

Q: Les commandes ont considérablement augmentées récemment, arrivez-vous à suivre la demande ?

Nous sommes en fait reconnaissants pour cela. Envoyer des produits, des objets, les vendre, nous sommes reconnaissants de cela.
Malgré tout, je dis cela à nos clients réguliers, et à Seido également, c'est assez difficile de respecter les dates de livraison, d’avoir tous les produits prêts à temps.
Dans notre atelier, il n'y a que moi et mon fils. Les commandes de nos clients les plus importants s'empilent à la même période, pour les mêmes produits. Et tout le monde veut être livré rapidement.
En fait, à partir de la fin novembre on commence à être très occupé. Donc de novembre, en passant par les fêtes de fin d'années, janvier puis jusqu'à mai, jusqu'aux vacances de mai (Golden Week) on travaille quasiment sans prendre un seul jour de congé. Nous sommes occupés à ce point !
Dans ce secteur, ça a toujours été comme ça. Pendant l'été, jusqu'à aujourd'hui, il y avait des périodes creuses où on avait aucun produit à envoyer. On faisait de notre mieux pendant les périodes de rush, et pendant l'été, on pouvait ralentir le rythme un petit peu.
Mais depuis quelques années ce rythme saisonnier a disparu. Désormais, nous recevons des commandes continuellement et nous sommes toujours dans l'urgence pour tenir les deadlines.
Cela étant dit, avoir du travail, recevoir des commandes, pour nous et pour notre travail, nous sommes reconnaissants et très contents de ça. Bien que ce soit physiquement difficile, on fait de notre mieux chaque jour !

Note :
C'est quelque chose que nous considérons comme très important. Il est assez rare que nous poussions nos artisans partenaires à livrer à une date précise. À moins d'événements imprévus ou de pénurie, et parce que nous avons une grande logistique et stockons des quantités assez importantes, nous n'avons presque jamais à le faire.
Nous les contactons également régulièrement pour savoir à quel point ils sont occupés et quand ils préfèrent que nous envoyions nos commandes. Encore une fois, travailler avec les quatr ateliers est utile, car nous pouvons passer de l'un à l'autre afin de stabiliser nos stocks en attendant une livraison plus importante.
Et je crois que c'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons une si bonne relation avec eux, ils savent que nous les respectons.

Matsuzaki Yoshiaki - 2ème génération d’artisan Bokken (Partie 2/2)

Q: Qu’en est il de l'avenir de votre atelier et de cette industrie ?

Et bien, j'ai transmis la tradition à mon fils, dans une certaine mesure, et maintenant c'est au tour de mon fils d'engager des jeunes, les enfants de mon fils ou dans d'autres termes, mes petit-enfants.
Est-ce que la tradition perdurera ? Je ne sais pas, parce que je ne sais pas si mon petit-fils va continuer. Qu'est-ce qu'il va se passer pour la génération qui suivra celle de mon fils ? Je ne peux rien dire.
Mais les jeunes d'aujourd'hui, de la génération de mon fils, ou les générations suivantes, s'ils réalisent à quel point l'artisanat traditionnel de Bokken de Miyakonojo est fantastique, et s'ils comprennent sa valeur, il y aura très certainement des personnes qui voudront apprendre ce métier. Et, comme le cycle de l'histoire se répète irrémédiablement, ils feront leur retour, ces gens qui ont la fascination des Bokken, de ce travail, et la tradition perpétuera, je pense.
Même si ce n'est pas dans notre atelier, dans un autre endroit, il y a de grandes chances que ça continue. Je ne peux pas dire exactement sous quelle forme, mais ce que j'espère, c'est que les enfants de mes petits-enfants continueront. Ce serait l'idéal, mais je ne serai plus là pour voir ça, donc je ne sais pas ce que le futur réserve.
Même s'il n'y avait qu'un seul jeune, pas obligatoirement de Miyakonojo, mais de n'importe où au Japon, s'il n’y avait qu'une ou deux personnes qui étaient intéressées par les Bokken et leur fabrication, je serais reconnaissant pour cela.

Q: Embaucheriez-vous et enseigneriez-vous à un étranger ?

Et bien, avant tout, il y a la barrière de la langue, et les coutumes quotidiennes peu familières. Avoir à endurer cela durant le stage. Et aussi, pendant cette période, le salaire parmi les apprentis est bas, comparé à ce qui se fait habituellement. Avec ceci en considération, qui pourrait endurer de tels aspects quotidiens ? Je pense que, Japonais ou étranger, cela ne change pas grand chose : s'il y a une personne avec un désir et une volonté forte, j'accepterai n'importe qui.
Mais vu que cet art existe au Japon depuis des temps anciens, je poserai comme condition de ne pas exporter cet art en dehors du pays et peut-être d'autres conditions aussi. Mais à partir de maintenant, dans le monde de l'artisanat japonais, répandre l'art, dans le bon sens bien sûr, devrait être considéré comme quelque chose de positif.
En tout cas, je pense que c'est positif.

Note :
Avant que quoique ce soit ne vous traverse l’esprit, veuillez prendre en compte que Maître Matsuzaki a un japonais assez difficile à comprendre. Même pour moi, qui suis bilingue, accoutumé au dialecte local, et qui vis au Japon depuis 12 ans, tenir la conversion pour quelque heures avec Maître Matsuzaki est un challenge.
De plus, Miyakonojo est au milieu de nulle part et a l’un des taux de rémunération les plus bas du Japon. Donc travailler là-bas pour quelques années, apprendre l’art de fabriquer des Bokken, serait un challenge similaire à un Uchi Deshi dans un vieu Koryu sans aucun étranger. Maintenant, si vous sentez que vous en êtes capable et avez les bases nécessaires en japonais, pourquoi pas. Contactez Maître Matsuzaki, ou Seido, et ça devrait fonctionner !

Q: Êtes vous confiant quant à l'avenir des Bokken de Miyakonojo ?

Et bien, je pense que les artisans de Bokken de Miyakonojo doivent fabriquer les produits comme il faut. Avant tout, cela dépend de combien de chêne japonais vous pouvez trouver dans le monde. Le chêne japonais est flexible, dur et lourd. C'est un bois avec des spécificités très caractéristiques.
Dans tous les pays, comme en Chine, il y a des endroits qui ont les mêmes latitudes que celles du Japon. J'ai entendu dire qu'il y a des régions avec les mêmes conditions environnementales. Mais ces montagnes n'ont pas été encore exploitées, donc je ne sais pas de quoi sera fait demain.
Et bien, dans l'art de la fabrication de Bokken, ou tout autre art, le système héréditaire, transmettre des parents aux enfants et des enfants aux petit-enfants, peut être un système viable. Mais si vous considérez seulement cette option, l'industrie ne durera pas longtemps, il n'y aura pas de continuation. C'est un problème difficile, et je ne sais pas ce qu'il va se passer...

Note :
Ce commentaire doit être compris en prenant en compte que la qualité a légèrement baissée durant les 10 dernières années. Cela est principalement dû au manque de ressources, et à la pression de certains revendeurs et grossistes pour avoir des prix bas.
Cela, additionné à l’âge avancé des artisans, fait que le maintien d'un standard de qualité supérieure est devenu bien plus difficile à conserver que cela ne l’était auparavant.
Mais Maître Matsuzaki le prouve, il y a la volonté de le faire, et avec des partenaires qui comprennent ses difficultés, ça aide.

Outil de fabrication de Bokken : Manriki

Un outil special inventé à Miyakonojo : le Manriki

Q: Donc c'est seulement vous deux ?

Ma femme est responsable de la finition au vernis, et d’emballer les Bokken dans des sacs en plastique. Nous travaillons en famille, tous les trois ensemble.

Q: Donc les étrangers pourraient être une solution ?

Et bien, les étrangers…
J'ai récemment vu une femme française faire du Karate à la télévision. Pour elle, faire du Karate était bien plus que faire du sport pour la santé physique ou le style. Ça concerne l'esprit du Budo qui existe dans le Karate.
Beaucoup de gens pensent comme ça. Et pour apprendre cela, elle est venue de France jusqu'à Okinawa pour pratiquer le vrai Karate, in situ. Elle voulait apprendre ça et elle est restée environ une semaine.
La plupart des pratiquants du Budo veulent forger leur esprit et leur corps de manière sérieuse. Comment pourrais-je dire... Il y a aussi des gens qui le font parce qu'ils pensent : "Faire du Karate comme ça, c'est cool !".
C'est la même chose de notre côté en fait. Les fabricants de Bokken sont des fabricants de Bokken. Je ne voudrais pas d'un Bokken qui vient de quelqu'un qui ne comprend pas l'essence de la fabrication de Bokken. Je veux quelqu'un qui perpétue la tradition avec un vrai respect de l'art.

Q: Voici quelques Bokken fabriqués par des artisans au Portugal et aux États-Unis. Qu’en pensez-vous ?

Celui-là est poli à l'huile n'est-ce pas ? Il ressemble beaucoup aux Bokken que nous produisons. Cette forme est à peu près la même partout. C'est un bon bois !
[Jordy: Le poids est bon également.]
Oui, c'est lourd, c'est bon. Et c'est bien fini. Cette partie ressemble beaucoup aux Bokken que nous faisions par le passé.

Bokken étrangers, Portugal et États-Unis

Bokken des artisans Portugais (Iwama Ryu) et Américains (coupe originale).

Q: Cet artisan fait aussi des Bokken pour des spectacles et des films. Avez-vous ce genre de demandes spéciales ?

Il est arrivé que ce gars d'Hollywood, comment s'appelle t'il déjà ? Celui qui a fait le film "Ninja", il était producteur avant, il a un Dojo maintenant et est assez célèbre.
Nous avions l'habitude de lui envoyer 200, 250 articles par an. Et encore aujourd'hui, nous recevons des commandes de sa part, nous avons envoyé encore 50 articles récemment et nous avons une autre commande. Il travaillait dans l'industrie du film à Hollywood. Il faisait du Iaido, avec son fils, qui est assez célèbre aujourd'hui. Il avait posé une pomme sur la tête de son fils, sérieusement ! Et il l'a coupée en deux avec un vrai sabre.
Il avait différentes versions de notre Bokken. Je le connais depuis longtemps. Déjà plus de 10 ans. Parce que son père vit à Okayama, il avait l'habitude de nous rendre visite, mais maintenant, je développe ses Bokken directement en lui parlant au téléphone.

Note :
Nous n’avons pas été en mesure de le confirmer, mais il semble que l’on parle ici de Sho Kosugi, un acteur Japonais qui a immigré au État-Unis et qui vit maintenant alternativement sur les deux territoires. Sho Kosugi possède aussi plusieur dojos, et enseigne les arts-martiaux (son fils pratiquant lui aussi). Ayant joué dans le film "L'Implacable ninja", il semble correspondre à la personne célèbre dont parle Maître Matsuzaki.

Q: Quelle est votre opinion finale sur ces Bokken?

La forme semble bien. Faire une telle forme, finir avec le ponçage et ça devient bien. Le bois est aussi lourd, bon matériau. Il ressemble aux Bokken que mon père faisait dans le passé, comme les premiers fabriqués à Miyakonojo. A l'époque, la forme ressemblait à celle-ci. Bien qu'elle fût un peu plus polie ici. De nos jours, la majorité des Bokken sont des Tsubanashi (pas d'emplacements pour la Tsuba) car beaucoup de pratiquants n'utilisent pas de Tsuba. C'est pourquoi les Bokken que j'envoie aux États-Unis sont souvent des Tsubanashi.
Donc celui-ci est vendu 25 000 yens?!
[Jordy: Oui, il coûte 25 000 yens pièce]
(RIre) A Miyakonojo, il coûterait 3 000 yens !

Note :
Le fait que ce Bokken serait vendu pour 3000 yens (par Matsuzaki, donc probablement environ 6000 ou 8000 yens en boutique) est un problème. C’est un sujet donc j’ai discuté avec Maître Matsuzaki et les autres artisans durant mon séjour (la question est posée ci-dessous). 3000 yens représente un salaire horaire de 1000 yens (8.50 euros) brut de l’heure, avec un coût de 1000 yens pour le matériel.
En Europe ou aux Etat-Unis, un Maître artisan, peu importe son domaine d’expertise, chargerait 5 à 10 fois ce taux horaire..

Q: Ne pensez-vous pas que vos prix sont trop bas pour les temps actuels ?

J'y ai pensé... Après tout, en un an, on vend environ 18 000 articles. Les ateliers Aramaki et Horinouchi probablement plus. Les ateliers avec de telles capacités de production ne peuvent pas vraiment négocier une augmentation des prix. Quoi qu'il en soit, les Bokken ont une forme très spécifique, et c'est celle des ateliers de Miyakonojo, et parce qu'il y a très peu d'artisans étrangers qui en fabriquent, leur valeur est élevée. Je pense que c'est pourquoi ces Bokken (fabriqués en France, Etats-unis, Portugal...) se vendent si bien.
Mais laissez-moi vous dire, bien qu'il y ait un problème de ressources, nous fournissons les pratiquants de Kendo à l'intérieur du pays, et les grossistes tels que vous par exemple. Il y a donc des gens qui doivent gagner leur vie grâce à ce secteur.
Même si Seido achetait (notre Bokken) pour 25 000 yens, vous ne pourriez certainement pas le vendre pour 50 000 yens.
Depuis les temps anciens, les grossistes ont bien pris soin de nous. Sans eux, nous ne pourrions rien vendre, car nous ne sommes pas des hommes d'affaires. Grâce aux grossistes qui vendent tout ce que nous produisons, nous pouvons gagner notre vie.
La manière dont le commerce s'organise dépend de l'industrie. Si nous étions les seuls à faire des profits, et pas les grossistes, nous aurions des plaintes des clients (parce que nous ne pourrions pas fixer un prix adéquat). C'est comme cela que ça marche. Et c'est comme ça que nous fixons les prix. En discutant avec les grossistes. Ce ne sont pas eux qui se plaignent, mais les détaillants directement approvisionnés. Les grossistes disent: "Nous le vendons à ce prix, donc si vous, M. Matsuzaki le vendez à un autre prix, nous allons avoir des ennuis." Et: "Certains d'entre nous ne serons pas en mesure de poursuivre leurs activités, si nous ne pouvons pas le vendre à un prix plus élevé que ce que nous payons nous-mêmes".
Je dois prendre cela en considération, mais il est vrai aussi que, de nos jours, on ne peut plus continuer comme cela. Malgré tout, jusqu'à maintenant, je reçois toujours des commandes importantes des mêmes grossistes. Et je ne peux pas trahir ces grossistes. C'est pourquoi les choses sont ainsi. Pour fixer les prix, jusqu'à une certaine mesure, je dois négocier et décider avec les grossistes. Les matériaux coûtent tant, il faut ajouter le temps de travail et de fabrication, donc en prenant en compte ces dépenses, nous devons correspondre au prix.
Oui, même Maître Nidome a des prix bas. Les Bokkens de Miyakonojo sont bon marché. Tout le monde le dit. Je discute constamment de cela avec Maître Nidome. Mais les deux autres ateliers sont toujours bon marché. Donc nous ne pouvons pas augmenter le prix de manière aléatoire. Ce sont les discussions que nous avons.
Au final, définir les prix, chaque atelier doit le faire pour lui-même. Maintenant, il faut tant d'effort et les coûts des matériaux augmentent chaque année, et notre gain diminue. En conséquence, les prix vont un peu augmenter. Si l'on prend comme référence le prix que mon père avait décidé à l'époque, qui était déjà trop bas, la marge correspondante à la hausse des prix est faible. Mais je dois au moins faire quelque chose... C'est difficile.
En prenant en compte les efforts à fournir, et bien sûr les prix du bois brut, des matériaux, il faut en plus le laisser sécher pendant un an, un an et demi, ce qui signifie que pendant ce temps, j'ai environ un million de yens immobilisés. Le taux d'intérêt de cet argent, calculer toutes ces choses et mentionner tous les détails. Combien de temps cela prend ? Quel est le coût pour produire une pièce ? En déterminant cela, définir un prix minimum. Je pense que nous devons absolument le faire ou nous allons droit dans le mur. En fait, je pense que, et comme mentionné précédemment, Maître Nidome est d'accord, les prix sont trop bas.
Le Bokken que vous m'avez montré avant est vendu à 25 000 yens... c'est inconcevable. Si je vendais mes Bokken à 25 000 yens, j'en ferai seulement mille par an, et pendant le reste de l'année, je prendrais du bon temps...

Master Matsuzaki, thinking....

Maître Matsuzaki, pensif...

Q: Alors il est temps d'augmenter vos prix !

Ce que l'on gagne sur environ 10 000 yens de chêne blanc dépend des articles produits. Selon l'article, il faut fournir plus ou moins d'efforts donc nous adaptons les prix en fonction du temps que nous passons sur chaque article. Après avoir calculé les coûts de matériel etc. Pour un Bokken standard il serait approprié d'augmenter les prix d'environ 400 ou 500 yens. Si nous tous (les 4 ateliers) pouvions augmenter nos prix ensemble. Peut-être de 100, 200 yens.
Le Suburito en chêne blanc, le Suburito en chêne rouge, il n'y a pratiquement pas de différences entre ces deux modèles. Malgré tout, le chêne blanc brut est désormais très cher. Les clients seraient surpris, de savoir que la différence de prix entre rouge et blanc est énorme.
Prenons un tronc de chêne blanc brut par exemple : si c'était du chêne rouge je pourrais faire environ 100 Bokken, mais avec du chêne blanc probablement moins de 50. Il y a des parties noires au milieu, et de fait moins de matériau utilisable pour le chêne blanc. Si l'on part simplement là-dessus, les coûts des matériaux sont doublés, n'est-ce pas ? A cela s'ajoute la difficulté de devoir trier et couper correctement [en évitant les parties noires et de mauvaise qualité], il est normal qu'il devrait y avoir une différence de prix, d'au moins 1000 ~ 1200 yens.
Malgré cela, actuellement la différence maximum de prix est d'environ 800 yens (entre le chêne blanc et rouge). Mais honnêtement, je préférerais une différence de 1000 yens. Mais je ne peux même pas avoir ça. C'est comme ça aujourd’hui. C'est difficile.
C'est pourquoi, ces problèmes toucheront aussi nos successeurs. Un prix permettant de laisser un certain bénéfice, permettant d'atteindre un niveau de vie convenable. Nous avons donc besoin d'un bon prix pour les articles et devons encore vendre suffisamment, et cela signifie augmenter les salaires... que nous devons payer à nos jeunes employés. Tout est connecté...
Donc pour être honnête, à partir d'aujourd'hui, je pense que les artisans doivent fixer le prix par eux-mêmes. Jusqu'à maintenant, nous discutions avec nos grossistes, nous considérions la situation de nos clients, l'état du monde, observions les ventes, et décidions des prix.
Mais à partir de maintenant, nous devons considérer la valeur réelle de notre travail pour ce qu'il est réellement. Et c'est différent pour chaque artisan. Maître Nidome et moi, Maître Horinouchi, et Maître Aramaki. Nous avons chacun notre propre sens de valeur. Et chacun d'entre nous doit définir ses propres prix.
C'est ça l'avenir. Ce serait l'idéal. J'ai expliqué cela à mon fils.
Nous ne pouvons pas continuer à harmoniser les prix entre nous. C'est à propos de la valeur que nous donnons à des articles spécifiques. Si à partir d'aujourd'hui, le nombre d'artisans décline, c'est l'artisan qui a fabriqué le produit qui sait le mieux, et c'est lui qui devrait fixer le prix. C'est le monde de l'artisanat. Cela fonctionne de la même manière pour les artisans à l'étranger.
Si nous ne adaptatons pas bientôt, nous ne serons pas capables de trouver des successeurs pour notre travail.
C'est comme ça.

Note :
Amen!
Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je suis heureux d’entendre ces mots directement de la bouche d’un artisan. J’ai eu l’occasion de discuter ce sujet avec eux des années durant, et j’ai toujours dis qu’ils devraient augmenter leur prix.
Cependant, 100 à 200 yens est loin d’être suffisant. Ils devraient plus ou moins doubler leur prix s'ils veulent que de jeunes travailleurs qualifiés se joignent à eux.
Et je suis convaincu que les pratiquants sont prêts à payer pour de l’artisanat. Ceux qui ne peuvent pas se le permettre ... eh bien, la Chine s'améliore dans la production d'articles de basse qualité, ils trouveront un jour comment fabriquer un Bokken qui, malgré une qualité relativement faible, est assez bon pour la pratique en contact (ils en sont encore loin, mais le jour viendra).
Le fait est que tout est connecté. Un meilleur bois est plus cher et des pratiques durables pour garantir l'avenir ont un coût. Les jeunes ne rejoindrons pas cette industrie s'ils sont payés moins qu'un étudiant ou un travailleur étranger dans une supérette, etc. Mais ce n'est pas tout. Il s'agit également de savoir comment les pratiquants et les clients apprécient le travail et les produits.
En baissant continuellement le prix, nous envoyons le message que ces produits sont de mauvaise qualité ou qu'ils ne valent pas grand-chose. Indirectement, nous envoyons également le message que le travail de l'artisan ne vaut pas plus qu’un travail non qualifié. Et c'est une énorme erreur, à la fois d'un point de vue économique, mais aussi et surtout, d'un point de vue humain.
Nous devons encourager, bien payer et récompenser un travail très qualifié, car c'est l'avenir du travail. Les tâches faciles et sales seront, un jour, entièrement gérées par des robots. Les tâches hautement qualifiées et artistiques ne le seront jamais.

Maître Matsuzaki au travail

Maître Matsuzaki au travail

Conclusion

C’est la première fois depuis que j’ai créé Seido que j’ai l’occasion de constater que les artisans commencent à comprendre l'ampleur de leur problèmes.
Je me suis tellement investi que j’ai, parfois, l’impression d’avoir fait des erreurs qui furent source d’une interruption du dialogue avec certains partenaires et artisans. Parce que je n'étais pas assez bon pour faire valoir mon point de vue et, sur certains points, je n’ai tout simplement pas été en mesure de gérer la situation.
Manque de qualité, manque de respect (autant pour les autres que pour soi-même).
Ce que je veux dire, c'est que Maître Matsuzaki m'a fait me sentir mieux ce jour-là, et cela n'arrive pas souvent dans cette industrie.
Donc je ne le remercie donc pas seulement pour son ouverture et sa gentillesse d’avoir accepté de répondre à mes questions, mais aussi en tant qu'être humain qui a contribué à renforcer ma foi dans les artisans de cette industrie.

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