Histoire de notre collaboration avec l'atelier Murayama Token (marque Jisei)
Murayama Token est l'un des plus anciens ateliers de Iaito et certainement le plus prolifique de nos jours. C'est l'un des ateliers à l'origine du Iaito, une petite entreprise familiale, le genre d'entreprise que nous avons toujours voulu soutenir. Du moins, jusqu'à récemment.
Voici l'histoire de notre collaboration avec Murayama Token, de son début à sa fin.
Le commencement
J'ai entendu parler de l'atelier Murayama Token pour la première fois très tôt après être arrivé dans cette industrie, peu après avoir rencontré les artisans de l'atelier Minosaka.
A l'époque, ils avaient la réputation de faire d'excellents Iaito sur-mesure, mais d'avoir des délais de production très incertains.
Le temps de production a toujours été un problème pour Seido, car nous sommes payés au moment de la commande. Faire attendre les clients 4 mois puis annoncer 2 mois de retard supplémentaires était quelque chose que je voulais éviter, et donc, je n'ai pas poursuivi car j'étais satisfait par la fiabilité de Minosaka.
Puis j'en ai entendu parler à nouveau quelques années plus tard, lorsque l'un des amis du maître artisan, M. Isobe, a créé la marque Jisei, une marque qui visait à être la vitrine de Murayama pour les ventes B2C.
M. Isobe était un homme particulièrement rigide, parfois même un peu difficile, mais nous partagions la même vision de l'industrie, et il était extrêmement précis dans tout ce qu'il faisait, y compris les délais de production. Avec sa présence dans le processus, traiter avec Murayama est devenu une option, alors nous avons commencé à proposer les Iaito de Murayama sous le nom de Jisei.

Jisei, la meilleure marque japonaise B2C de Iaito à l'époque
Il faut d'abord comprendre que la technologie Internet au Japon a au moins dix ans de retard par rapport à l'Occident, y compris les magasins en ligne. Vendre des Iaito entièrement personnalisés n'est pas une chose simple, car il n'existe - encore aujourd'hui - aucun système de commerce électronique prêt à l'emploi permettant une personnalisation simple des produits.
La première force de M. Isobe était sa capacité à coder, à développer un site web qui serait entièrement dédié aux ventes de Iaito sur mesure, permettant non seulement une personnalisation poussée mais aussi en empêchant de sélectionner des options incompatibles, avec un niveau de détails et d'explications qui n'avait été encore jamais vu.
À l'époque, Seido vendait encore principalement sur le site Web BudoExport.com, aujourd'hui disparu, et en comparaison, le site Web de Jisei était nettement meilleur dans la fonctionnalité de personnalisation. Au point où cela nous a réellement inspiré lorsque nous avons développé SeidoShop.com.
Quoi qu'il en soit, la présence de M. Isobe a changé beaucoup de choses. Il a publié des descriptions de produits très détaillées, ce qui était très rare dans une industrie où il était demandé aux clients de faire confiance au vendeur et de ne pas poser trop de questions.
Ici, je dois faire une digression, car je crois fermement que l'ancienne coutume de demander aux clients de faire aveuglément confiance aux artisans et aux vendeurs a été largement abusée. Faux produits made-in-japan, fausses marques de certification, Shinai fabriqués en Corée du Nord, équipements qui passent de "made-in-cambodia" pour devenir "made-in-japan" en ajoutant simplement un lacet manuellement au Japon, de telles pratiques sont étonnamment très courantes au Japon de nos jours.
Revenons à Jisei. M. Isobe a également publié d'excellents articles de blog sur les artisans, les procédés de fabrication, les productions spéciales sur mesure, etc.
Il a maintenu un site Web fiable et facile à comprendre. Mais il a également pris des photos avec des mesures détaillées de tous les produits et a contribué aux dépôts de brevets pour éviter que des copies chinoises bon marché n'inondent le marché japonais.
En d'autres termes, il a vraiment fait entrer une vieille industrie dans le 21e siècle dans les termes appropriés et nos points de vue partagés sur les problèmes de l'industrie et sur la manière de les résoudre ont conduit - je veux le croire - à une inspiration mutuelle.

Cela ne pouvait pas fonctionner dans une industrie opaque
Malheureusement, M. Isobe était... eh bien, il a sa propre façon de faire, et ça n'a pas plu à tout le monde.
Associé aux plaintes répétées de certains revendeurs de Murayama Token, cela l'a conduit à fermer Jisei et à créer plus tard sa propre entreprise, Katanabe (qui existe toujours à notre connaissance, et il travaille toujours avec MT entre autres).
Pourquoi d'autres revendeurs se sont-ils plaints ? Eh bien, probablement parce que la plupart d'entre eux vendent leurs Iaito sous leur propre marque, et voir les mêmes pièces sous une marque qui semblait directement liée à l'atelier... rendait leur modèle commercial discutable.
Jisei a également bénéficié de prix plus bas en raison de sa proximité avec l'atelier, et d'un processus de commande beaucoup plus fiable puisque M. Isobe a pu visiter quotidiennement les artisans pour vérifier que tout était en ordre.
Quand Jisei a fermé, nous voulions faire comme nous l'avons toujours fait, vendre leur Iaito sous le nom de leur atelier, Murayama Token. Parce que c'est ce que nous faisons chez Seido, transparence et honnêteté totales, reconnaissance des artisans avec qui nous travaillons.
Mais nous avons très vite reçu un appel de Maître Murayama nous demandant de retirer leur nom, après - encore une fois - des plaintes d'autres revendeurs.
C'est alors que j'ai vraiment compris qu'il était primordial pour les autres revendeurs que le nom soit gardé secret (et pourquoi je publie cet article maintenant, exposant l'intégralité de la situation). Nous avions une bonne relation avec l'atelier et étions toujours prêts à faire des compromis entre ce qu'ils voulaient et nos façons de faire. L'atelier a accepté que nous proposions leur marque Jisei au point que nous ayons même été invités à commencer à vendre au Japon (notre système de commande Iaito personnalisé était vraiment bon). Nous avions fait la promesse à M. Isobe de ne pas lui faire concurrence (et d'autre part, il a promis de nous rediriger toutes les demandes en anglais), mais avec Jisei parti, cette promesse n'avait plus de sens.
Dès lors, on nous a confié de manière informelle le nom de marque créé par M. Isobe, et nous nous sommes fait un devoir de rester fidèles à ses engagements initiaux : de bonnes photos, des explications claires et détaillées, et des délais de production fiables. Comme nous l'avons entendu de la part de nombreux clients qui ont également eu l'expérience d'acheter auprès d'autres vendeurs, Seido avait la réputation d'être le revendeur le plus fiable, du côté de la qualité, de l'information et du temps de production. Nous espérons que nous avons fait honneur à M. Isobe dans la façon dont nous avons travaillé.
Et ça n'a fait qu'empirer
Puis, en juin 2022, tout a soudainement changé.
Mi-juin, M. Murayama nous a informés qu'ils avaient passé un accord (secret) avec leur principal revendeur, ce qui eu pour effet d'exclure "Seido et quelques autres revendeurs" (pas tous ? seulement Seido ? peu clair), et qu'ils devraient désormais commander via un tiers, le revendeur numéro un de Murayama.
Pour le contexte, Seido était, selon nos estimations, très probablement le deuxième client de Murayama derrière ce revendeur principal. Difficile d'être précis, mais Seido était certainement l'un des meilleurs revendeurs.
La première chose étrange est que M. Murayama nous a informé par e-mail le 16 juin que cet accord était entré en vigueur le 1er juin, plusieurs semaines avant que nous en soyons informés.
La deuxième chose étrange était que M. Murayama semblait n'avoir aucune idée de ce qui se passerait précisément. Il a dit que nous serions probablement privés de la marque Jisei, qu'il y aurait une augmentation significative des prix et que leur catalogue changerait probablement. C'est tout.
À ce stade, nous avions déjà une idée claire de qui avait fait quoi, pourquoi et ce qui se passerait ensuite, alors... comme demandé, nous les avons contactés avec une demande principale.
S'attendant à une sorte de décision injuste, nous avons fortement insisté auprès de Murayama et de la nouvelle société tierce sur le fait qu'il ne serait pas juste, raisonnable et honnête de nous informer des changements à la toute dernière minute et nous avons demandé à être informés dès que possible.
Jusqu'à la fin
À ce stade, vous avez probablement déjà deviné ce qui s'est passé ensuite.
Nous avons reçu le nouveau catalogue et les tarifs applicables du 1er juillet au 30 juin vers midi. Nous donnant essentiellement 5 heures pour mettre à jour tous les produits et les prix.
Le nouveau catalogue ne concernait que la gamme des Iaito standard, et aucune mention n'a été faite des Iaito sur mesure et de toutes les pièces (Tsuba, Menuki, etc.), nous avons donc mis à jour nos produits conformément au catalogue reçu et avons continué à vendre les autres produits normalement.
Et encore une fois, le 8 juillet, vendredi, vers 20h, nous avons reçu un email nous informant que toutes les commandes passées pour des produits ne figurant pas dans le nouveau catalogue (90% de la liste de produits précédente) ne seraient plus disponibles.
Cela s'est produit après que chaque commande passée depuis le 1er juillet ait été reçue et approuvée par le nouveau propriétaire (chaque commande par correspondance avait été reconnue comme "commande reçue").
C'est ainsi que se termine notre collaboration avec l'atelier Murayama.
À ce stade, il est clair pour nous que l'on ne pouvait pas faire confiance à Murayama et à son revendeur, et avec l'éthique de Seido au premier plan, il n'était pas possible pour nous de continuer à les soutenir.
Nous avons passé toute la nuit à supprimer tous leurs produits de nos 3 sites Web et le reste du week-end à identifier toutes les commandes que nous ne pourrions honorer, à contacter les clients et à résoudre les problèmes potentiels.

Conclusion
Bien sûr, comme dit précédemment, cela n'a pas été une surprise, car tout cela fait parti d'un processus à grande échelle dans lequel tout l'artisanat est concentré entre les mains de très peu d'entreprises.
Avec notre approche "partenariat égalitaire", nous n'avons pas de réel levier sur ce processus, et au final, accepter ou refuser ce modèle est le choix des artisans. Seido est la seule entreprise dirigée par un groupe d'étrangers et de femmes japonaises. Il faut savoir que dans une industrie aussi traditionnelle, seuls les hommes de plus de 40 ans sont pris au sérieux, les femmes dans de très rares cas, et les étrangers... pas tellement. Bien sûr, à une échelle personnelle, nous avons noué d'excellentes relations avec nos artisans partenaires, mais à plus grande échelle, le "tatemae" japonais (le comportement et les opinions que l'on affiche en public) prime.
En tant que Budoka, nous considérons également qu'il est important que nos clients comprennent que le modèle de Seido n'est pas viable. Nous avons choisi de gérer notre entreprise avec une éthique spécifique, selon des principes éthiques qui découlent directement de ce que nous avons appris en pratiquant les Budo, même si cela signifiait que l'entreprise avait, dès le début, une espérance de vie limitée.
Cela a toujours été une situation de David contre Goliath : un groupe d'étrangers sans argent contre un réseau centenaire dédié à l'ascension d'un acteur de premier plan.
Mais relever un défi, travailler dur et voir où cela mène, surtout quand c'est pour le plus grand bien, est un chemin extrêmement intéressant et qui forge le caractère.
Par conséquent, et même si cela peut sembler être le cas, nous n'avons aucun sentiment négatif ou dur envers cette situation spécifique. Cela devait arriver tôt ou tard, et bien que cela ne s'est pas passé aussi courtoisement que nous l'aurions souhaité, nous sommes convaincus que nous avons eu une influence très positive sur l'industrie.
On pourrait juste penser : "Eh bien, ils se sont fait battre par un concurrent, et ils ont perdu, point final."
Et ce serait vrai.
Mais si vous croyez au modèle moderne "de type Amazon", alors acceptons simplement de ne pas être d'accord.
La diversité des opinions est toujours ce qui rend ce monde agréable à vivre, et en tant que Budoka et êtres humains, bien au-delà de nos propres considérations commerciales, nous ne sommes pas satisfaits de ce que le monde est devenu. Avec des ventes en constante augmentation, Seido a prouvé qu'il est possible de ne pas mettre "l'argent" au cœur des pratiques commerciales, que le respect des artisans, des femmes, des étrangers, des pratiques commerciales éthiques et, bien sûr, des clients, est un modèle commercial financièrement viable.
Or, choisir un modèle plutôt qu'un autre est un choix individuel, un choix que nous respecterons.
Seido continuera à travailler avec tous les ateliers indépendants restants, car quoi qu'il arrive, notre seule raison d'exister est de soutenir les artisans indépendants, et non la fast-fashion comme le modèle de grande distribution qui - à notre avis - ne fait aucun bien à ce monde.
Postfaces et avertissements
La loi japonaise pourrait considérer cet article comme étant "borderline". On pourrait deviner quelle entreprise est derrière tout cela, et si un juge considerait cela trop facile à deviner, cet article tomberait sous le coup des lois japonaises sur la diffamation.
Au Japon la diffamation n'a rien à voir avec la vérité, c'est juste le fait de porter atteinte à la réputation d'une personne ou d'une entreprise (devinez pourquoi il n'y a pas de lanceurs d'alerte au Japon !).
Cela dit, M. Murayama a été informé de la publication de cet article et a confirmé n'avoir rien à dire contre la vérité.
Par conséquent, cet article ne sera supprimé que par décision de justice.
Veuillez ne mentionner aucun nom dans les commentaires, ils seraient alors modérés.
Nous ne connaissons pas la nature de l'accord secret défini par Murayama Token comme "業務提携" (litt : partenariat commercial), mais nous savons qu'il ne concerne que "certains" de leurs revendeurs (uniquement Seido possiblement).
Cet article vise à donner une image complète de notre collaboration avec la marque Jisei et décrit l'une des nombreuses histoires sur la façon dont les affaires se font au Japon. Veuillez ne pas faire honte, critiquer, attaquer ou bannir aucune partie. Les critiques négatives ne serviront à rien.
Enfin, nous voudrions exprimer notre plus profonde gratitude à tous les Budoka qui nous soutiennent, ainsi que nos plus plates excuses pour ne pas pouvoir vous offrir autant de bons produits liés aux Iaito qu'auparavant.
2 commentaires - Histoire de notre collaboration avec l'atelier Murayama Token (marque Jisei)
Merci à l’équipe Seido pour votre choix courageux pris en publiant cet article.
Merci de nous avoir permis de comprendre votre situation.
Merci d’exister et de suivre vos convictions plutôt que le flux général, et merci de nous donner ainsi une alternative à ce flux.
Merci de votre soutien à l’artisanat, aux hommes de moins de 40 ans et aux femmes (!).
En espérant que votre modèle persiste longtemps et inspire plus longtemps encore.
Bonjour Jordy, bonjour à toute l’équipe,
Au delà de la tristesse de lire cet article, je voudrais vous féliciter pour ce que vous faites, et pour cet article transparent nous permettant à tous de mieux comprendre la situation. Le modèle commercial que vous promouvez est devenu trop rare, merci à vous donc de defendre cette ligne de conduite et de nous permettre en tant que clients de la défendre avec vous.
Ariane