Interview avec Yamamoto Takahiro Shihan (Taisha Ryu Kenjutsu)

A la découverte du Taisha Ryu Kenjutsu

Une interview avec Yamamoto Takahiro Shihan

16 février 2019, Tokyo, gare de Tsukishima, 13h.
Nicolas Nothum, responsable du programme BudoStudies de Seido, et Jordy Delage, fondateur de Seido, ont rendez-vous avec Yamamoto Takahiro Shihan de l'école de Kenjutsu Hyoho Taisha Ryu pour 3h de Keiko (pratique) et d'entretien. Voici l'histoire d'une autre rencontre avec un maître kobudo et un être humain fantastique.

Hyoho Taisha Ryu [兵法タイ捨流]

Le Hyoho Taisha Ryu est une école Koryu orientée vers le Kenjutsu créée vers la fin du XVIème siècle par Marume Kurando dans la préfecture de Kumamoto, sur l’île occidentale de Kyushu.

Marume était l'un des quatre meilleurs élèves de Kamiizumi Ise-no-kami Fujiwara-no-Nobutsuna (1508~1572), épéiste légendaire et fondateur de la prestigieuse école Shinkage Ryu Kenjutsu. Après la mort de Kamiizumi, il décida de fonder son propre style en incluant ce qu'il avait appris auprès de Kamiizumi, mais également des éléments issus de son expérience acquise sur le champ de bataille. Il y ajouta des traditions issues de très anciens arts martiaux traditionnels chinois et indiens ainsi que les croyances philosophiques et spirituelles qu’il avait adoptées. Il appela ce style “Shinkage Taisha Ryu Kenjutsu”, qui fut plus tard raccourci en “Taisha Ryu Kenjutsu”.

Le nom de ce Kenjutsu "Tai" a différentes significations, qui expriment toutes un aspect de l’enseignement de l’école. Cela peut signifier “Important”, “Corps”, “Attente”, “Opposition” ou “Epais”, associé au kanji “Sha”, qui représente la perte, ou l'action de jeter. Ces nombreuses possibilités représentent également le fait que l’art martial est une pratique libre qui doit faire l’objet d’une recherche approfondie et qui ne peut être appréhendé ni saisi avec seulement quelques mots. Un aspect caractéristique de cette école est la direction de la coupe “Kesagiri”, de droite à gauche, par opposition à la coupe plus courante de gauche à droite.

Malgré la fin de l’ère des samouraïs avec la restauration Meiji en 1868, les membres du Taisha Ryu continuèrent à s’entraîner, préservant ainsi la tradition pour les générations futures. Actuellement, le Taisha Ryu Kenjutsu est enseigné au Dojo Ryusenkan à Yatsushiro, Kumamoto. L'école est dirigée par la Soke Uehara Eriko et Yamamoto Takahiro Shihan, qui en est le responsable technique. Uehara Eriko est la première femme Soke de cette école.

Yamamoto Takahiro Shihan [山本 隆博 師範]

Après le décès du dernier Soke, Uehara Eriko, la petite-fille du 13ème Soke Yamakita Takenori, a pris la relève de l'école. Etant le disciple principal de feu Yamakita Soke et disciple direct de Uehara, Yamamoto Takahiro agit en tant que responsable technique de l’école et assistant de la présente Soke Uehara. Il est le bienvenu dans un monde où les femmes Soke sont extrêmement rares et sont même parfois dénigrées à cause de leur sexe.

Récemment, avec un esprit très ouvert, Yamamoto Shihan a commencé à travailler à la promotion de l’école Taisha Ryu en participant à de nombreux évènements à travers le Japon, en acceptant des élèves non japonais et en établissant même des groupes en Europe.
Cet état d'esprit nous a motivé à lui demander une interview, requête qui fut immédiatement acceptée avec l'enthousiasme naturel que l'on connaît à Yamamoto Sensei.

Après un accueil chaleureux, nous avons immédiatement rejoint le Dojo et configuré nos caméras. Yamamoto Sensei avait amené d'anciens documents, comme nous lui avions demandé lors de la préparation de l'interview, et il nous a expliqué l'histoire du Taisha Ryu. Après cette brève introduction, la discussion s’est orientée vers sa perception du Budo, et s'est immédiatement transformée en un échange sur le sujet plutôt qu'une simple présentation de ses propres opinions. Après avoir répondu à diverses questions sur la façon dont nous voyons la pratique du Budo, la façon dont les gens la perçoivent en Occident et son influence sur nos vies, nous nous sommes rendu compte que nous n'aurions pas assez de temps pour parler de tout ce que nous voulions, alors, au moment de commencer l'interview, nous avons décidé de mélanger les questions que nous avions préparées et de nouvelles questions apparues lors de notre discussion préalable.
Cela a donné l’interview que nous présentons ci-dessous.

Eriko Uehara & Yamamoto Takahiro

Eriko Uehara & Yamamoto Takahiro

Interview, partie 1

Dans cette première partie, nous avons bien sûr commencé par la présentation de Uehara Soke, Yamamoto Sensei et du Taisha Ryu en tant que tel. Rapidement, l'interview s'est orientée vers le sens de la pratique du Kenjutsu et de sa pertinence dans notre monde moderne. À partir de ce moment, nous avons recentré l'entretien sur ce qu'est réellement le Taisha Ryu, en définissant les concepts de Jissen Kenjutsu et la spécificité technique de l'école.

En parlant des origines du Taisha Ryu, une question m'est venue à l'esprit : "Les reconstitutions historiques sont-elles réellement fidèles ?" (ou Jidai Geki en japonais), techniquement parlant. Pas vraiment, c'est assez évident pour un Budoka, mais nous voulions avoir l'opinion de Yamamoto Sensei.

Inexorablement, la discussion a de nouveau basculé sur le sens de la pratique, sur les avantages physiques et mentaux que l'on peut trouver dans le Taisha Ryu en particulier et dans le Kenjutsu en général. C'était certainement un sujet sur lequel Yamamoto Sensei et nous-mêmes voulions échanger.

Nous avons dû nous efforcer de nous réorienter sur l’histoire du Taisha Ryu et avons décidé de couper la première partie ici, avant de poser une question à la demande d’Alexander Bennett concernant le travail qu'il avait effectué sur le Hagakure (Bennett en a publié l’une des meilleures traductions disponibles).

[Hyoho Taisha Ryu] Yamamoto Takahiro
Le Kenjutsu & la pertinence des Kobudo au 21ème siècle (1/2)

Interview, partie 2

Cette deuxième partie commence donc par la question concernant le Hagakure, demandée par Alexander Bennett. Voici la question complète :
Lors d’une discussion avec Alexander Bennett, que vous connaissez peut-être, et qui a publié la dernière traduction en date du Hagakure, j’ai entendu dire que le Taisha Ryu aurait peut-être eu un lien avec le Hagakure lui-même. Il a dit que le Taisha Ryu était la principale forme d'escrime pour les samouraïs du clan Nabeshima, bien que le Shinkage Ryu soit également enseigné en même temps. Le Hagakure contient-il des informations pertinentes sur le Taisha Ryu et que pensez-vous de ce livre ?
Ce à quoi Yamamoto Sensei a répondu de manière très factuelle, par essence : très probablement, mais cela fait partie du passé et nous avons peu de documents historiques, nous ne pouvons qu'imaginer quelles étaient les connexions.

Cette question sur le Hagakure était une bonne occasion de parler un peu des anciens concepts évoqués par ce livre mais aussi de la société des samouraïs. Nous avons parlé un peu de la philosophie des samouraïs, ce qui a conduit à une question qui me vient souvent à l’esprit et qui est assez intéressante dans le cas du Taisha Ryu : qu’en est-il des Ninjas ?
Bien sûr, nous savons bien que les Ninjas ne ressemblent pas à ce qui est décrit dans la culture populaire, mais même d’un point de vue historique, les actions menées par les Ninjas semblaient tout à fait en décalage avec l’éthique des samouraïs. Il se trouve que le Taisha Ryu a quelques archives de techniques de Ninjutsu dans ses archives, alors nous avons posé notre question et avons été surpris et satisfaits de la réponse !

Le temps a passé et nous avons encore posé quelques questions factuelles, telles que le lien entre le Taisha Ryu et la religion, la signification de son Kuyomon Kamon (emblème de la famille) et, enfin, l'une de nos questions les plus importantes concernant l'ouverture du Taisha Ryu. En quoi est-il important de s'adapter pour survivre et en quoi cela a-t-il un rapport avec l'augmentation du nombre de pratiquants non japonais dans les Kobudo aujourd'hui ?
Cela a permis une réponse fantastique teintée d'universalisme. Un universalisme qui semblait vraiment naturel et profondément honnête de la part de Yamamoto Sensei. Une conclusion positive et brillante qui ne laisse place qu'à une autre interview dans le futur !

[Hyoho Taisha Ryu] Yamamoto Takahiro
Hagakure, ninjas, religion & universalité (2/2)

Taisha Ryu en tant que (Ko)Budo

Dans cet article, nous utilisons le mot Budo au sens large, ce qui englobe à la fois les Budo et les Kobudo, ou plus concrètement tous les arts martiaux japonais qui mettent l’accent sur le fameux "Ningen Kessei no michi" ou "Voie de perfectionnement / amélioration personnelle". Ces Budo et Kobudo ne sont pas seulement des méthodes éducatives ou des méthodes de combat, mais, au fil des siècles, se sont adaptés à leur époque et sont devenus en quelque sorte des formes d'art.
Yamamoto Shihan présente un point de vue très intéressant sur les relations entre les arts traditionnels tels que le Sado (cérémonie du thé), le Noh (théâtre musical japonais classique) et les arts martiaux. Il était également clair que Yamamoto Sensei ne fait pas "qu'enseigner" à ses étudiants, il apprend d'eux, de la même façon qu'il apprenait de nous, en nous posant de nombreuses questions. Un état d'esprit qui fait de lui non seulement un maître de Kenjutsu, mais avant toute chose et principalement, un être humain très ouvert et proactif.
Au cours de notre discussion, Yamamoto Sensei a mentionné une exposition qui avait lieu en Italie, organisée par le groupe d'étude local du Taisha Ryu, une exposition appelée "Saburau". Saburau est une dérivation du mot samuraï qui signifie "Servir à ses côtés", mais qui a bien sûr aussi une signification beaucoup plus profonde. Pour référence, vous trouverez ci-dessous la bande-annonce de l'exposition que nous avons partagée sur notre chaîne Youtube pour aider à promouvoir l'événement.

Japan Samurai Expo 2019「侍う-SABURAU en ITALY」

Cette vision de la pratique martiale en tant que forme artistique est quelque chose que nous partageons avec Yamamoto Sensei (et avec la plupart des maîtres de Kobudo et de Budo, par exemple). C’est l’une des principales raisons de la création de notre programme BudoStudies, cela explique pourquoi nous passons tant de temps à éditer des vidéos de démonstrations que nous partageons via notre chaîne Youtube. Le budo mérite, et a besoin d’être présenté pour ce qu’il est, une forme d’art. Retirer cet aspect à des formes martiales qui n’ont pas d’applications modernes signifie en finir avec les siècles d’évolution qu’elles ont traversées pour devenir plus que des techniques de combat. Cela retire toute la pertinence qu'elles peuvent avoir pour nous, humains du 21ème siècle.
En ce sens, nous sommes très heureux de pouvoir travailler avec le Taisha Ryu et avec Yamamoto Sensei et nous travaillons déjà ensemble sur de futurs projets.

Anciens manuscrits provenant des archives de Hyoho Taisha Ryu

Anciens manuscrits provenant des archives de Hyoho Taisha Ryu

L'amitié à travers les Budo

Cette rencontre avec Yamamoto Sensei fut une nouvelle révélation pour nous. Bien sûr, nous avons partagé de nombreuses opinions sur ce que les Budo étaient, ou ce qu'ils sont censés être, mais nous avions également des opinions différentes sur certains sujets et la discussion s'est poursuivie même après l'interview. Jusqu'au moment où nous nous sommes rendu compte que nous avions encore beaucoup de choses à nous dire, nous avons fini par dîner ensemble, avec Uehara Soke et tous les étudiants dans un restaurant de Monjayaki à proximité.

Naturellement, nous avons gardé contact et discutons déjà de nos prochaines rencontres. Que ce soit pour travailler ensemble à la promotion du Budo et du Kobudo, ou pour échanger nos opinions et points de vue personnels, il est certain que cette interview a été le début d’une amitié.

Interrogé sur en quoi la pratique du Budo est pertinente, je réponds que la capacité de se connecter et d’échanger à un niveau profond avec quelqu'un que vous n'avez jamais rencontré et qui est issu d'une culture différente, via une appréciation commune du Budo, constitue déjà une très bonne raison pour pratiquer les Budo. Ce programme BudoStudies m'a permis de rencontrer d'incroyables êtres humains, et chaque rencontre constitue un pas de plus dans ma propre voie d'amélioration. J'espère que ce sentiment se retrouve dans nos interviews.

Jordy Delage & Yamamoto Takahiro

Jordy Delage & Yamamoto Takahiro

Ressources

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