Artisanat Japonais d'armes en bois,
le début de la fin
J'avais publié en janvier dernier un article sur le futur de l'artisanat des armes en bois au Japon.
Après la fermeture de l'atelier Horinouchi, qui détenait environ 40% de la production, la capacité de production a chuté et la situation est rapidement devenue critique.
Un an plus tard, quelle est la situation ?
Je ne reviendrai pas sur les raisons du déclin de l'industrie, cela avait été expliqué en détail l'année dernière dans l'article suivant "Le futur de l'industrie des armes en bois et augmentation des prix en 2020".
Restructuration et capacité de production
Tout d'abord, depuis octobre 2019, les 3 ateliers restants ont tenté de restructurer leur activité au plus vite. Mais avec l'impossibilité totale de compenser la perte de capacité de production, la seule solution était d'augmenter les prix et de limiter les commandes personnalisées pour se concentrer sur la productivité.
Les frères Nidome ont toujours eu la tête sous l'eau. Depuis que je les ai rencontrés en 2011, leur temps de production a toujours été de plusieurs mois, avec une production mensuelle de quelques dizaines de pièces (pour nous) au mieux. Horinouchi ayant disparu, ils détiennent plus ou moins 5% de la production.
Matsuzaki père et fils étaient un peu plus productifs, mais ils ne font pas beaucoup de commandes personnalisées, ils n'utilisent pas beaucoup de Sunuke, et si nous avons été en mesure de faire revivre le Naginata Katori Shinto Ryu avec l'aide de maître Matsuzaki, le temps de production est également de plusieurs mois. Actuellement, ils détiennent environ 5 à 10% de la production.
L'atelier Aramaki, avec environ 20 employés, détient 85 à 90% de la production. Leur temps de production est passé de 2 semaines à 3 mois bien qu'ils refusent désormais toute commande personnalisée (mis à part la personnalisation de la longueur).

Outils traditionnels dans l'atelier Nidome
La restructuration s'est soldée par une importante augmentation des prix. Une en début d'année, comme ils ne pouvaient pas fabriquer les spécialités d'Horinouchi à la même vitesse, ils ont dû augmenter leurs prix de 30 à 100% selon les produits. Puis une seconde fois en octobre 2020, de 20 à 80%, pour toutes les armes standards/classiques (Bokken, Bo, Jo, Tanto, Shoto, etc.).
Je dois souligner le fait que d'un point de vue occidental, vu comment l'artisanat est perçu et apprécié en Occident, les tarifs des produits japonais étaient largement sous-évalués et les artisans sous-payés. A mon avis, les prix actuels sur certains articles sont encore sous-estimés - Et je n'hésite pas à les inviter à augmenter leurs prix comme bon leur semble.
Si la capacité de production a un peu augmenté au sein de l'atelier Aramaki, Nidome et Matsuzaki travaillaient déjà au-dessus de leurs capacités, et au final, la fermeture de l'atelier Horinouchi s'est traduite par une baisse durable de la production, au moins d'un tiers. Et ça ne va pas s'améliorer. Pas bientôt, pas plus tard, jamais !
Pénurie de bois et durabilité
L'autre problème majeur auquel l'industrie fait face est le manque de bon bois.
Disons que vous prévoyez de produire 1000 armes en chêne blanc par an et que votre bois a besoin de 10 ans pour sécher correctement. Si vos commandes augmentent de 50%, vous devez trouver du bois approprié pour les 500 autres pièces. Et même si vous avez prévu une variation possible de 10 à 20%, il vous reste 300 pièces de bois à trouver. Vous allez donc sur le marché pour voir si vous pouvez acheter du bois qui serait immédiatement prêt à être utilisé, mais il est plus cher que celui vous avez en stock, et vous devez peut-être aussi baisser vos attentes sur la qualité. Au final, votre dernière solution est de commencer à utiliser le stock que vous avez accumulé pour l'année suivante.
Les artisans ont utilisé tous ces stratagèmes pour traverser 2020. Mais ce qui n'était pas prévu, c'était... la crise du covid. A votre avis, qu'est-ce que nous avons vendu le plus pendant la crise ? Qu'est-ce qui a permis à Seido de survivre ? Oui, ce sont les armes. Pendant quelques mois, nous n'avons quasiment pas vendu de textile, pas de Hakama, pas de Dogi. Mais la hausse des ventes d'armes en bois a été énorme. Stables jusqu'en mai, puis nous avons vendu plus de deux fois plus d'armes que d'habitude de juin à septembre.
Le résultat ? Eh bien, des armes produites à la hâte avec ce qui était disponible, consommant les stocks de bois destinés aux années à venir .

Les stocks de bois dans l'atelier d'Aramaki sont affreusement bas
Il est maintenant temps de faire face à la vérité. La production de bois au Japon n'est pas durable, et nous le savons parfaitement parce que... il ne reste presque plus de bois de qualité sur le marché. Ce n'est pas la faute des fabricants d'armes en bois, ils ne canalisent qu'une infime partie de la production, mais ils en subissent les conséquences aussi durement que tout le monde. Ils ne peuvent pas acheter le bois dont ils ont besoin parce qu'il n'y a pas de bois de qualité sur le marché, c'est aussi simple que cela.
Le Sunuke a quasiment disparu. Nous allons suspendre les commandes pour toutes les armes en Sunuke dans les prochains mois, une fois que le stock sera complètement épuisé. Il pourrait y avoir une certaine résurgence dans les années suivantes car il y a encore des planches en cours de séchage, mais pas beaucoup. Et parce que l'offre a été proche de zéro au cours de la dernière décennie, c'est littéralement le début de la fin.
L'Hon Biwa a quasiment disparu aussi. Tout le bois disponible pour 2020 a fini d'être utilisé en août. La prochaine disponibilité est pour l'été prochain, mais comme pour le Sunuke, c'est le début de la fin.
Pire, bien pire, le chêne blanc est sur le point de disparaître. La qualité a commencé à chuter beaucoup plus rapidement et plus tôt cette année, et s'il y aura encore des hauts et des bas, on peut s'attendre à ce que le chêne blanc devienne un bois "rare" dans les prochaines années. Le Hon Akagashi, véritable chêne rouge, a déjà suivi le même chemin et ne peut plus être utilisé pour les produits ordinaires.
Bien sûr, comme je l'ai mentionné dans un autre article, les artisans sont allés au ministère de l'Agriculture, des Forêts et de la Pêche pour demander de l'aide, demander des autorisations pour couper quelques arbres dans certaines forêts protégées (avec des quotas et des pratiques durables bien sûr), juste assez pour assurer la survie de leur art. "Non" est la seule réponse qu'ils ont reçue, "non", et aucune aide quelle qu'elle soit.
Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?
J'ai étudié le travail du bois pendant un certain temps quand j'étais jeune. J'adore le bois. J'adore aussi les armes en bois, je pratique avec des armes depuis mes 15 ans, et si je ne suis certainement pas un Kenshi, j'apprécie les bonnes armes comme outils de pratique des Budo et comme pièces d'artisanat. J'adore le concept d'artisanat et j'apprécie beaucoup les artisans avec lesquels nous travaillons.
J'ai passé les 15 derniers mois à discuter de ces problèmes avec tout le monde. Artisans, bien sûr, partenaires et concurrents, enseignants et organisations de Budo et de Koryu, chercheurs spécialisés dans les Budo... en vain. Les artisans sont vieux et ils n'ont pas l'énergie des jeunes entrepreneurs, ils ne peuvent pas se battre seuls, alors j'ai essayé d'amener le sujet sous le feux des projecteurs, mais je ne peux qu'affronter la triste vérité : il me semble que je suis le seul qui a vraiment le désir de sauver ce métier sans aucune considération commerciale.
A moins d'un miracle, le mieux que nous puissions faire est d'essayer de ralentir le processus. Ils vont disparaître ou presque disparaître. Cela peut prendre 2 ans, 5 ans ou, moins probable, 10 ans, mais ils disparaîtront. Le temps que cela prendra dépendra de la réaction des spécialistes des équipements de Budo (notre industrie) et de la manière dont nous pouvons aider nos clients à s'adapter à cette nouvelle situation.

L'atelier Matsuzaki est une bonne allégorie de l'état de l'industrie
Seido a la chance d'avoir son propre petit atelier où nous pouvons repolir des armes, les revernir, appliquer nos finitions spéciales telles que le polissage à l'huile ou à la cire d'abeille, et cela nous a permis de maintenir la qualité de nos armes à un niveau raisonnable (assez raisonnable pour recevoir autant de commentaires positifs que d'habitude), mais cela ne durera pas. Nous ne savons pas pendant combien de temps nous serons en mesure de maintenir des coûts suffisamment viables pour vous, pratiquants, mais nous ferons de notre mieux aussi longtemps que possible.
Maintenant, j'imagine que vous aimeriez savoir ce que vous pouvez faire ?
- Tout d'abord, prenez soin de vos armes, assurez-vous de ne pas les casser en raison d'un manque d'entretien. Elles sont précieuses. Si vous cassez un Bokken, essayez d'en faire un Shoto ou un Tanto, et n'achetez pas ce dont vous n'avez pas besoin.
- Deuxièmement, essayez le chêne rouge (Ichiikashi, pas Akagashi, disponible pour toutes les armes sur SeidoShop). C'est le seul bois pour lequel la situation est encore acceptable et durable.
- Troisièmement, et je sais que c'est vraiment dommage, baissez vos attentes.
Et c'est tout. Vous ne pouvez pas faire grand-chose de plus pour aider. Il est très peu probable que vous ayez une idée miraculeuse à laquelle aucun de nous n'a pensé, mais si c'est le cas, n'hésitez pas à commenter cet article ou à nous envoyer un e-mail avec vos idées.
Le futur de Seido ?
Nous ne savons pas. Mais nous serons là jusqu'au bout.
J'ai fondé Seido tout en sachant que l'industrie se détruisait d'elle-même, que son organisation ne peut que conduire à la disparition de presque tous les artisans. Les seuls ateliers qui survivront sont les grands, ceux qui rationalisent les coûts. Ceux que, aussi bons soit-ils, je ne peux pas définir comme étant des artisans .
Une fois que tous les petits ateliers, les anciens artisans, ceux qui chérissent le concept de l'artisanat comme moyen d'accomplissement de soi (tout comme le Budo), seront partis, nous les suivrons dans les limbes de l'histoire.
D'ici là, continuez de les soutenir, ainsi que nous. Vous avez été incroyable ces 10 dernières années, et je crois vraiment que grâce à votre soutien, nous avons pu faire une différence dans l'industrie, retarder un peu son échec complet et apporter du réconfort à des artisans considérés par trop de personnes comme étant des travailleurs d'usine remplaçables.
Merci beaucoup !
3 commentaires - Artisanat Japonais d'armes en bois, le début de la fin
Je viens de prendre conscience combien mes armes (jo et boken standart en Akagashi ) achetés chez vous en décembre 2014 avaient de la valeur. Je comptais les revendre pour racheter un set. Mais si tout est amené à disparaître dans un relatif court terme, je vais finalement les garder, quitte a m’équiper en double. Je ne comprenais pas bien pourquoi elles avaient triplées de prix depuis. Votre article répond à ma question. Finalement, pour que cet artisanat subsiste, en effet, il faut augmenter les prix pour que la demande chute jusqu’au bon équilibre. Cela donne aussi envie d’acheter… avant la fin.
Si la tradition meurt sans remède possible, il va falloir un jour songer à fabriquer des armes en bois en Europe, avec des essences locales. Châtaigniers, Frênes, Hêtre… peut-être avec des résineux cuits (résine vitrifiées). A défaut de préserver la tradition, on perpétuera l’esprit.
Constat terrible et triste. Merci pour ce blog très instructif et ces articles (à tous les points de vue) de qualité.